Eric Raoult, maire UMP du Raincy (Seine-Saint-Denis).
Paul : Un remaniement anticipé du gouvernement ne serait-il pas opportun ?
Eric Raoult : Un remaniement obéit à des règles sous la Ve République. Il vient après une élection, ou pour un changement de coalition majoritaire. L'événement de 2010, ce sera le vote sur la réforme des retraites. Il sera plus important que les ragots de Mediapart !
Olivier : Pourquoi Christian Estrosi reste-il ministre ? Lui aussi a été pris dans une affaire de jet privé à 138 000 euros pour assister à un pot à l'Elysée… Il reste parce que c'est l'ami du président ?
Eric Raoult : Les conditions étaient différentes. Les règles sont maintenant fixées. Les déplacements des ministres doivent obéir à des règles déterminées et à des contraintes budgétaires précises. Mais le problème risque de se poser de nouveau pour des contraintes gouvernementales de présence et d'obligations : autant que le public puisse les connaître avec des règles financières budgétées à l'avance.
Sylvain c : Etes-vous favorable à la suppression du bouclier fiscal ?
Eric Raoult : Non, car ce terme est devenu un talisman pour l'opposition pour prouver que le président peut et doit reculer. Le plafond fiscal, les Français y sont favorables. C'est le mot "bouclier" qu'il faudrait changer en expliquant quelles doivent être nos règles en la matière : ne pas dépasser la moitié de ses revenus pour ses impôts.
"CHASSEZ LE TROTSKISME, LE PLENEL REVIENT AU GRAND GALOP"
Luc : Pourquoi le gouvernement ne réagit-il pas plus vigoureusement aux calomnies ? Son manque de fermeté fait le jeu de ses accusateurs…
Eric Raoult : Réagir, ce n'est pas sévir. Nous sommes dans un Etat démocratique ! La presse est libre. Tout peut être dit, mais tout doit être vérifié. C'est le reproche que l'on peut faire à cette opération de déstabilisation : on a un peu l'impression que chassé le trotskisme, le Plenel revient au grand galop.
François : L'affaire Bettencourt n'est-elle pas juste la mise au jour de pratiques courantes dans les milieux du pouvoir où intérêts politiques et économiques sont étroitement liés ?
Eric Raoult : Mme Bettencourt, c'est L'Oréal. C'est aussi une grande famille et une grande marque qui fait travailler des milliers de personnes dans mon département de Seine-Saint-Denis. Je n'ai jamais rencontré cette femme. Je ne la connaissais qu'en écoutant Georges Marchais, qui avait l'habitude de dire : "Il faut prendre l'argent là où c'est qu'elle est" ! Cette femme est une citoyenne, très riche citoyenne. Elle peut avoir des sympathies, mais nous, nous respectons la loi. Et tout ce qui a été dit sur le mélange des genres ou les conflits d'intérêts oublie que la droite n'est pas liée aux forces d'argent ou aux puissants de ce pays.
Dans ma circonscription, je passe plus de temps à envoyer des CV aux chefs d'entreprise qu'à percevoir des intérêts quelconques. Ne soyons pas binaires, la droite a autant la volonté d'aider, de secourir, d'être solidaire que la gauche. La gauche se fait des piqûres de marxisme : il n'y a plus "deux cents familles" en France, et son Front populaire se termine toujours mal !
"MEDIAPART, CE N'EST PAS MEDIAMENT ! L'INFORMATION, C'EST L'ÉQUILIBRE"
David : Vos collègues de l'UMP diabolisent la presse et Internet (les mots "fascisme", "stalinisme"… circulent). Est-ce un problème de la presse ou un problème de la politique ?
Eric Raoult : Je ne pense pas qu'ils diabolisent la presse, mais qu'ils veulent aborder la déontologie indispensable au débat démocratique. On ne peut pas dire n'importe quoi n'importe comment. Mediapart, ce n'est pas Mediament ! L'information, c'est l'équilibre et la vérité. L'équilibre doit permettre le droit de réponse. Quant à la vérité, elle exige la vérification des sources. Sinon, c'est de la propagande ou de la machination, mais pas de l'information.
Tiburce : Lu sur le site de Mediapart en date du 6 juillet : "Son avocat [de Claire Thibout], Me Antoine Gillot, assure qu'elle est consciente de la gravité des accusations qu'elle porte et qu'elle est prête, en cas de nouvelle audition par les enquêteurs, à les confirmer." Comment expliquez-vous ce revirement ?
Eric Raoult : Je ne connais pas cette personne. Elle donne l'impression qu'un comptable peut régler des comptes plus que les faire. Mais la situation actuelle donne vraiment l'impression d'un feuilleton qui voudrait plus nuire au gouvernement qu'informer l'opinion. Cette comptable a fermé les yeux pendant des années, mais semble aujourd'hui les ouvrir pour non pas éclairer, mais brouiller l'image d'un gouvernement comme d'une famille à laquelle elle consacrait son activité. "Se faire le pouvoir" donne plutôt l'impression d'un roman policier avec un scénario arrangé.
Bea : Etant d'origine allemande, ayant vécu une quinzaine d'années en Angleterre et aux Etats-Unis, j'ai cru mal entendre quand j'ai appris la confusion des responsabilités de M. Woerth – trésorier d'un parti politique en même temps que ministre du budget (sans oublier le rôle joué par Mme Woerth, sa propre femme, au sein de la maison Bettencourt). Un tel mépris de l'impérative indépendance de la part d'un ministre est tout simplement inimaginable en Allemagne ou en Angleterre. Comment expliquez-vous ce mélange des genres ?
Eric Raoult : En Allemagne, on ne peut conserver une quelconque responsabilité dans le parti et au sein du gouvernement. En Angleterre, le premier ministre est le patron du parti majoritaire. Quant aux Etats-Unis, le président s'éloigne bien souvent de son propre parti politique. Nos traditions sont très différentes. Sous la Ve République, les membres du gouvernement sont des personnalités politiques qui restent très ancrées dans leur propre parti, pour quelque responsabilité que ce soit. Nous avons souvent des ministres dirigeants ou militants.
Quant à l'épouse ou l'époux d'un membre du gouvernement, doit-on lui fixer une incompatibilité de responsabilités ? C'est méconnaître qu'un couple existait avant l'entrée au gouvernement. Un conjoint n'aurait-il le droit que de rentrer à la maison ? Mme Clinton ne s'est pas fait connaître pour ses cookies, mais pour le rôle éminent qu'elle pouvait jouer auprès de son époux. Mme Woerth est diplômée d'HEC, c'est une femme qui aide le maire de Chantilly autant que le ministre des affaires sociales. Quand vous voulez demander un logement, un emploi, un stage auprès d'un élu, vous vous adressez souvent à son conjoint. A l'UMP ou au Parti socialiste. La classe politique réclame la parité, peut-elle devenir sexiste pour ses élus de quelque tendance qu'ils soient ?
JP : Que pensez-vous des dernières informations du Monde qui révèlent que Claire T. a dit aux policiers que beaucoup de politiques passaient dans la demeure des Bettencourt à Neuilly pour y recevoir de l'argent ? En somme, elle ne se rétracte plus tant que cela...
Eric Raoult : Je n'étais pas dans le bureau des policiers. Je ne sais pas ce que cette femme, qui semble changer parfois ses déclarations, a été amenée à dire, mais je pense que toutes ses indiscrétions ne servent pas le débat démocratique, mais font sourire les partisans de l'extrémisme.
Thomas : Vous ne voyez donc aucun problème déontologique, aucune confusion des genres à ce que M. de Maistre, donateur de votre parti, ait reçu la Légion d'honneur des mains du mari de son employée, mari qui était à la fois trésorier dudit parti et ministre du budget ?
Eric Raoult : Une Légion d'honneur n'est pas une poignée de main. C'est un dossier instruit par la grande chancellerie selon des critères particulièrement rigoureux d'âge, d'états de services et de vérification de la biographie. M. de Maistre devait remplir des conditions qui ont été considérées comme susceptibles de lui voir attribuer cette ordre national. C'est vérifiable, et le contester serait tout autant dévaloriser les conditions d'attribution que porter une critique à ceux ou celles qui ont parrainé cette promotion. Napoléon attribuait la Légion d'honneur pour faits de guerre et de courage ! Nous décernons désormais cette décoration à des responsables d'industrie, des sportifs, des militaires ou des préfets. Ils servent la République. M. de Maistre a dû être considéré comme méritant ce ruban rouge au-delà de son carnet d'adresses.
"MME BETTENCOURT, C'EST NOTRE SULTAN DU BRUNEÏ À NOUS"
Thibaud : Mme Thibout cite maintenant de nombreuses personnalités comme étant des habitués du salon des Bettencourt (François Léotard, Gérard Longuet, le couple Chirac, Edouard Balladur, Bernard Kouchner, Danielle Mitterrand). Qu'en pensez-vous ?
Eric Raoult : Mme Bettencourt est la première fortune de France. C'est notre sultan du Bruneï à nous… Elle doit inviter diverses personnalités sans pour autant leur donner une enveloppe à la fin du repas. Mais ce feuilleton à répétition, après la tragi-comédie de l'équipe de France, nuit considérablement à l'image de la France. Des femmes ou des hommes riches, il y en aura toujours. Ils ont le droit d'inviter à leur table des hommes ou des femmes, de droite ou de gauche, sans que cela soit perçu comme une compromission. Il m'arrive personnellement de déjeuner avec des collègues de gauche sans pour autant trahir mon parti. Il m'est arrivé de dîner avec des chefs d'Etat sans trahir mon pays. Et si Mme Bettencourt m'avait invité à déjeuner, je lui aurais donné quelques CV de la mission locale pour l'emploi de ma commune.
Adrien : Ne plus rien dire et laisser l'affaire se tasser, n'est-il pas la meilleure stratégie pour la droite ?
Eric Raoult : La droite a les mains dans le moteur de l'action gouvernementale. Elle ne doit pas pour autant avoir les pieds dans le cambouis. On peut tout accepter en démocratie, mais pas la diffamation, le mensonge, la déstabilisation. La droite peut avoir le droit de réponse, il est reconnu en matière de presse comme principal et fondamental. Vous connaissez l'expression "Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose". Nous n'acceptons pas, et nos électeurs non plus, que faute d'arguments sur notre action, faute de projet de remplacement, le débat politique devienne un pilori ou un chamboule-tout. Nous ne sommes pas à la fête foraine !
DOUDOU : Le dîner au Fouquet's était-il une bonne idée ?
Eric Raoult : Le président a retrouvé ses amis dans un grand restaurant. S'il était venu en Seine-Saint-Denis, il aurait pu aller au McDo, mais on l'aurait traité de démago. Une soirée aussi amicale et triomphale avec Johnny et ses potes ne constitue pas une erreur, mais la rencontre avec les VIP qui l'avaient suivi. Il n'a pas pu inviter à dîner les dizaines de milliers de ses assesseurs, militants, adhérents qui lui ont permis de faire 53 %. Sarkozy, c'est la vérité. Mitterrand avait rencontré Bousquet le lendemain du 10 mai 1981. Les deux hommes sont très différents.
Jean : N'avez-vous pas l'impression que depuis la défaite des régionales, la droite a perdu sa boussole ? Quelle ligne doit-elle suivre pour retrouver une crédibilité à deux ans de la présidentielle ?
Eric Raoult : Notre boussole n'est pas électorale, elle doit porter sur la réforme des retraites, le traitement de la dépendance, les réponses urgentes à la crise mondiale. Notre boussole n'est pas de faire plaisir aux uns ou aux autres, mais de répondre à l'attente du plus grand nombre, qui sait au fond de lui-même que le gouvernement actuel ne s'y prend pas si mal et qui imagine quelle serait l'action de l'autre candidate de 2007 si elle avait été élue !
Pierre Chiffon : Il y a quelques mois, la presse se pressait autour de NKM (Nathalie Kosciusko-Morizet), Chantal Jouanno, Valérie Pécresse… Maintenant que le parti est dans la tourmente, on ne les entend plus, et ce sont les grognards du RPR qui affrontent la presse… Pourquoi ?
Eric Raoult : Ces jeunes femmes de talent étaient candidates tout en étant ministres. La mise en place de la faculté Condorcet, la mise en musique du Grenelle de l'environnement accaparent ces deux membres du gouvernement. Sur le ring du combat politique, il faut une répartition des choses : aux ministres l'action gouvernementale, aux députés de terrain la réponse et la réactivité. Les grognards connaissent bien la gauche, surtout en Seine-Saint-Denis, où elle en a fait son département témoin.
On a plus de temps pour mettre nos gants de boxe que les membres du gouvernement.
mannschaftboy : Vous avez rédigé un rapport sur le port du niqab, certains ont voulu vous devancer en faisant une proposition de loi avant même que votre commission rende son rapport. Ne pensez-vous pas que ce comportement surfe sur une islamophobie rampante ?
Eric Raoult : La méthode utilisée par mon groupe parlementaire est certes originale, mais elle nous a permis d'avoir un socle de détermination sur ce dossier. Au-delà de la susceptibilité de droits d'auteur, l'important, c'est l'unanimité sur notre résolution, et que le projet de loi du gouvernement n'ait eu qu'une poignée d'opposants.
Pour autant, André Gerin et moi-même serons vigilants pour que ce projet ne soit ni de droite ni de gauche, mais de concorde républicaine. Il sera autant explicatif que contraignant. L'islam de France a toute sa place, mais le masque de tissu n'est pas républicain. Il n'est pas le bienvenu en France, comme l'a dit le président de la République.
François : Que pensez-vous de la décision du préfet du 93 de ne plus vouloir faire intervenir les policiers en ce qui concerne les mini-motos ? Cela ressemble à un aveu d'impuissance !
Eric Raoult : Le préfet Christian Lambert vient d'arriver en Seine-Saint-Denis. Il veut comprendre et résoudre les problèmes de ce département. Le dossier des mini-motos est autant une question de circulation et de sécurité que de nuisance au sein des cités. Il veut concentrer les forces de l'ordre sur l'aspect grandissant de la toxicomanie et de son économie parallèle. "Mettre le paquet" sur l'insécurité de la drogue réclame des choix que les élus comprennent. Aux polices municipales de prendre le relais pour résoudre les problèmes de nuisance des mini-motos.
Guillaume : Est-ce que la réutilisation de la police de proximité est une bonne idée ?
Eric Raoult : La police de proximité répondait à un certain type de communes. Elle n'était pas toujours adaptée aux villes étendues et à des quartiers moins difficiles. Elle n'a pas été brevetée, elle a pu être appréciée. Les UTEQ (unités territoriales de quartier) de Michèle Alliot-Marie sont désormais plus adaptées aux demandes des maires. Elles doivent être étendues rapidement, car elles sont véritablement opérationnelles.
"ON AVAIT VOULU CASSER CHIRAC, ET C'EST JOSPIN QUI S'EST CASSÉ"
Comprenez-vous malgré tout (vos accusations de "campagne de déstabilisation" et de "site de ragots" contre Mediapart) le très large trouble des Français face à la proximité excessive entre les élites industrielles, financières et les politiques de votre parti ?
Eric Raoult : A la garden-party du 14-Juillet, il a fallu attendre Jacques Chirac pour y faire venir des Français de base. Et c'est Nicolas Sarkozy qui vient de la supprimer. C'est dire que l'Elysée est un lieu qui, de tout temps, a réuni les élites autant que les ambitions. Quand le président visite un pays, il y amène de grands chefs d'entreprise susceptibles d'y développer des ventes de nos produits. Et donc des emplois pour nos compatriotes. La France est une grande nation à ce prix. Nos "grandes fortunes" sont aussi des capitaines d'industrie et de gros employeurs.
Tous les gouvernants de France et d'ailleurs ont des contacts fréquents avec le monde de l'entreprise. C'est normal et c'est sain. Le nier serait méconnaître les réalités économiques de notre pays. Mais n'oublions pas que M. Bergé, M. Seydoux et d'autres dirigeants peuvent avoir un engagement progressiste qui ne correspond peut-être pas au montant de leur ISF.
Gaetan : Pensez-vous qu'Edwy Plenel cherche à régler des comptes avec le président de la République ?
Eric Raoult : Edwy Plenel a du talent, mais il l'utilise mal. Il voudrait être journaliste et procureur. Mais dans notre pays, les deux fonctions sont incompatibles. Son acharnement va de pair avec son intelligence, mais sa formation initiale est plus celle de l'extrême gauche que du juste milieu. On peut donc regretter que sa méthode personnelle dépasse la déontologie qu'il pourrait enseigner à des étudiants en journalisme.
Leonard : Ne pensez-vous pas que si ce buzz autour de Mme Bettencourt dure tout l'été, les chances de Nicolas Sarkozy d'être réélu pour un mandat supplémentaire sont anéanties ?
Eric Raoult : Nous avons connu l'affaire Méry, les billets d'avion et les 500 millions de l'Hôtel de Ville de Paris. On avait voulu casser Chirac, et c'est Jospin qui s'est cassé. Trop, c'est trop. Nicolas Sarkozy n'a pas été nommé, il a été élu par une majorité de Français. La calomnie, le dénigrement, le mensonge : les Français ne sont pas dupes. Dans mon département, le président, on l'aime ou on ne l'aime pas, mais beaucoup reconnaissent que Sarko, chapeau, c'est un pro !
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